Le vieux jardinier d'Emile Claus
*Le vieux jardinier est paru en octobre 2022, chez Invenit.
Voir l'émission Sous couverture (à partir de 18')
Lecture à La Boverie, le 12 novembre 2023 (Liège)
Une chronique de Véronique Bergen, dans Le carnet et les Instants :
"Dans la très belle collection « Ekphrasis » des Éditions Invenit, basée sur le principe du dialogue entre un écrivain et une œuvre muséale, Christine Van Acker décline un texte floral-cosmique, d’une écopoésie subtile, consacré au tableau Le vieux jardinier du peintre Émile Claus. C’est à partir du rayonnement d’Hélios qu’elle approche cette œuvre exposée à La Boverie à Liège et qu’elle déroule un texte-tournesol autour d’un artiste qui fut une des figures marquantes du luminisme. La confrontation relève de multiples registres : du registre existentiel dès lors que l’éclat héliaque du Vieux jardinier « sauve des vies », sauve « quelques mois » de celle de l’autrice au creux de l’hiver du confinement, registre du récit biographique, des échos de l’enfance, registre de l’esthétique et des effets qu’il produit, registre d’une sensibilité et d’un engagement écologiques. Dans ce portrait d’un portrait, Christine Van Acker tisse des fils de soie, d’or, de mousse entre le corps-monde du personnage peint par Émile Claus et le corps-terre de son grand-père, déplie la carte du Temps et de ses ravages écologiques, remonte de la fin du 19e siècle à notre présent dévasté. Le mouvement s’enfonce dans l’esprit et la matière du tableau autant que dans les rêves qui prolongent la géographie de sa composition. Le chant de la terre qui monte d’une toile datant des années 1886, l’autrice entre autres d’Ici (Le Dilettante), de La bête a bon dos (José Corti), L’en vert de nos corps (L’Arbre de Diane), du Monde d’ici-bas. Christine Brisset, une femme ordinaire (L’Esperluète) le diffracte sur les portées musicales de l’enfance, de la nature, du lien (saccagé/retrouvé/animiste/amoureux…) que l’on noue avec elle. S’ouvrant sur une saisissante description de la naissance de la forge solaire il y a cinq milliards d’années, le texte se clôt sur le récit de la mort de l’étoile dans cinq milliards d’années. Christine Van Acker nous dévoile le personnage principal du tableau d’Émile Claus et nous délivre son nom : Soleil dès lors que « c’est le Soleil en personne qui, par la grâce des métamorphoses, a pris pieds, jambes, bras, mains, poitrine, visage d’homme. C’est le Soleil qui s’invite, astre aux yeux cernés, à la barbe irisée ». Dispensateur de vie, permettant l’apparition de la vie sur terre, Hélios s’incarne dans un vieil homme humble qui traversait une époque où la cathédrale du vivant ne s’effondrait pas encore, où les oiseaux déployaient des chants qui rythmaient les saisons.
Qui regarde qui ? Comment, à partir de son monde d’alliances entre humain, végétal et animal, le jardinier nous perçoit-il ? Qu’avons-nous perdu, qu’avons-nous gagné sur le chemin de halage qui mène du 19e siècle au 21e siècle ?
Donnez-lui le temps de traverser les âges et d’accepter votre aujourd’hui. Qu’avez-vous fait de ce dont il a pris soin ? Que sont devenus les arbres qu’il vous avait confiés ? Poussé dans le dos par le peuple végétal, il se heurte à la victoire contemporaine du minéral, préfigurée par la grisaille de la colonne, de la jalousie, et du carrelage qu’il foule de ses pieds.
Le retour vers un monde dont la nature et ses tribus végétales et animales n’étaient pas encore totalement sacrifiées sur l’autel d’un néolibéralisme écocidaire laisse tout à la fois résonner la mélodie de la perte, de la colère contre une dévastation environnementale dont l’humain est responsable et les chants d’une harmonie retrouvée avec les multiples formes du vivant. Méditation sur un tableau, sur une manière d’être au monde, en connexion avec les voix des fleurs, des arbres, des rivières, réflexions sur la présence sensible à la terre, le travail des champs, le cycle des saisons à l’heure du virtuel, de l’artificialisation du vivant et de la spatiophagie due à l’expansion de l’homo sapiens, évocation d’une campagne flamande au bord de la Lys, d’un univers champêtre qui n’existe plus, Le Vieux jardinier nous plonge dans la beauté florale-végétale d’un texte dont les pétales, les branches sentent le bégonia, les herbes folles et les nectars de l’enfance."
Véronique Bergen